Comprendre ma philosophie écologique
J'ai toujours aimé les histoires. Les histoires que ma mère m'a lues quand j'étais enfant et que j’ai voulu lire moi-même dès que j’ai pu déchiffrer le monde magique des symboles assemblés pour créer des mots, des mots assemblés pour créer des phrases et des phrases tissées ensemble pour créer des histoires. Petite fille, j'étais enthousiasmée par ces histoires qui m’emportaient dans des mondes où je me sentais en sécurité et je pouvais découvrir de nouveaux endroits, personages et aventures.
J’aimais aussi les histoires que j'ai vues défiler dans les dessins animés et les films à la télévision et je me souviens d’avoir vécu plusieurs étapes successives : penser que ces histoires et ces personnages étaient réels, me questionner sur leur réalité, et finalement «grandir» et comprendre que ces histoires n’étaient pas réelles. «Grandir» signifiait tracer une ligne de ‘craie cognitive’ entre le réel et l’irréel, le vrai et le faux, le bien et le mal. Entre ‘histoires’ (stories) et 'l’Histoire' (History).
En lisant «Sapiens, Une brève histoire de l’humanité» de Yuval Noah Harari, je me demande maintenant dans quelle mesure j’avais raison, enfant, de croire que ce que je lisais dans mes livres et ce que je voyais à la télévision était réel. Ou plutôt, je me demande si j’étais plus proche de la réalité avant de faire la distinction entre les histoires que je lisais et regardais et la «vraie» vie.
En expliquant comment la révolution cognitive a permis à l'Homo Sapiens de «conquérir» le monde, Harari souligne que la capacité à coordonner un grand nombre de ses membres a permis aux sapiens de prendre le dessus sur d'autres espèces humaines et non humaines. Et comment pouvons-nous coordonner un grand nombre de personnes? En créant et en partageant des informations «sur des choses qui n'existent pas du tout». Notre maîtrise unique de la fiction et la résultante création de nos mythes communs et réalités imaginaires ont, selon Harari, permis à notre clique d'homo sapiens, qui était jusque-là si peu spéciale, de réaliser des tâches que d'autres espèces et le monde naturel avaient jugés inutiles, telles que la mise en place de stratégies pour chasser un plus grand nombre de proies ou construire des nations.
Cette capacité à s’inventer des histoires serait-elle l’une des distinctions les plus conséquentes, ou peut-être même la plus conséquente, entre les sapiens et les autres êtres vivants ? Ce qui m'amène à trois questions aujourd'hui:
1. Qu’est-ce qu’une histoire et de quoi est-elle faite ?
2. Comment les histoires sont-elles transmises ?
3. Comment je me sens face à cette idée de «conquête» du monde par l’homo sapiens ?
Je suis intéressée par la troisième question aujourd'hui.
Si je considère la définition de la «conquête» comme l'assujettissement d'un lieu ou d'un peuple par la force, alors je me sens mal à l'aise face à 1. l'assujettissement du monde naturel, compte tenu de l'état actuel des choses - pollution, réchauffement de la planète, épuisement et perte de ressources naturelles et de la biodiversité, pour ne citer que quelques problèmes écologiques actuels, et 2. les moyens par lesquels la subjugation a principalement eu lieu: par la force.
Si je considère que la définition de «conquête» comme étant le fait de surmonter un problème ou une faiblesse, alors je ressens une certaine ambivalence. La résilience est une qualité que j'admire énormément chez la femme et l'homme, chez les autres animaux et dans la nature. Cependant, je ne suis pas tout à fait sûre de quelle faiblesse ou problème à surmonter il s’agissait pour nos ancêtres homo sapiens. Je comprends le désir de développer les compétences nécessaires pour s’adapter à un environnement peut-être hostile et pour survivre, mais j’ai le sentiment que nous sommes allés au-delà.
La révolution cognitive semble avoir apporté avec elle des besoins que d'autres espèces n'ont pas, tels que le besoin d'accomplissement et d'épanouissement personnel (peut-être que d'autres espèces ont ces besoins, je ne sais pas), et je me demande si notre envie de répondre à ces besoins nous a séparé de notre écosystème et contribué à l'annihilation, à la destruction et à la mise en danger d'autres espèces et de notre monde naturel. Nous avons «réussi» à «conquérir» le monde et je suis vraiment fascinée par la raison pour laquelle nous l’avons fait et le faisons toujours. Je peux comprendre pourquoi un groupe d’animaux décide de migrer vers une zone géographique différente parce qu’il manque de nourriture, et se trouve alors confronté à des quêtes extraordinaires telles l’ascension de montagnes impossibles, ou à lutter contre des rudes conditions.
J'ai cependant du mal à comprendre pourquoi certains d’entre nous décident de gravir l’Everest, de faire des courses de montagne (j’en suis coupable!), de construire des navires pour traverser les océans et explorer de nouvelles terres et des fusées capables de nous emmener sur la lune. Pour en revenir à la définition de «conquête» comme étant le fait de surmonter un problème ou une faiblesse, ces faiblesses ou problèmes que nous, homo sapiens, devons surmonter sont-ils internes plutôt qu'externes - des malencontreux produits dérivés de la révolution cognitive dont parle Harari? Et si oui, pourquoi le reste de l’écosystème de la vie doit-il assumer les conséquences de notre quête d’assouvissement de besoins exclusifs à nous, sapiens ?
Si nous étions d’accord sur le fait que ces besoins sont effectivement internes et exclusif à l’homo sapiens, ce qui signifie qu'ils n'ont pas essentiels dans le contexte de l'écosystème de la vie dans son ensemble, pourrions-nous imaginer qu'ils (les besoins) sont conçus par un médium qui est également exclusif à l’homo sapiens - celui de la narration? Cela signifierait que les histoires et les histoires que nous nous racontons façonnent nos besoins. Et si oui, qu'est-ce qui anime ces histoires et Histoires, et leur permet d’être véhiculés? Le langage.
C’est-à-dire que la langue donne vie et véhicule les histoires qui nous guident (1) - et beaucoup de ces histoires, ayant reçu l’aval officiel, deviennent l’Histoire. Ces histoires et cette Histoire façonnent notre vision de nous-même, des autres et du monde, et cette vision façonne nos besoins. Nos besoins façonnent notre comportement, nos choix et notre impact sur notre environnement social et naturel. Ce qui nous ramène à la notion de «conquérir» notre environnement.
Je n'aime pas l’idée que nous, homo sapiens, ayons "conquis" le monde et j'estime que nous devrions reconsidérer notre relation à notre environnement afin de créer une cohabitation plus harmonieuse et respectueuse entre tous les êtres vivants. Par où commencer? Par nos histoires, bien sûr. En comprenant les histoires que je vis, qui sont façonnées par le langage et qui façonnent à leur tour ma relation au monde, j'espère pouvoir interroger, analyser et choisir de vivre des histoires qui cultiveront l'harmonie et le respect de l’écosystème d’êtres vivants.
Mais avant cela, je dois commencer par la mère des toutes les histoires: mon écosophie.
A suivre…
RÉFÉRENCES
(1) Les histoires qui nous guident, 'stories we live by' en anglais, est un terme utilisé par le professeur Arran Stibbe pour décrire "les structures dans l'esprit des individus (cognition) ou dans l'esprit de plusieurs individus dans la société (cognition sociale) qui influencent la façon dont nous pensons, parlons et agissons." ( Stibbe, 2016)
Bibliographie :
Harari, Yuval Noah; Vintage (2014). Sapiens: A Brief History of Humankind.
Stibbe, A. (2016). Ecolinguistics. London: Routledge.
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